
Camions électriques : un second souffle pour éviter la casse
Au printemps 2021, la Haute école spécialisée bernoise BFH s’est vu mettre à disposition par Lidl Suisse, à des fins de recherche, deux camions électriques de première génération. Ces véhicules, dont les batteries vieillies affichaient des performances insuffisantes, auraient en principe dû finir à la ferraille. L’idée d’un rétrofit n’a, quant à elle, pas été envisagée pour des motifs purement économiques, comme l’a récemment expliqué la BFH.
Pour la BFH, ces deux camions électriques sont une aubaine : dans des circonstances normales, mettre la main sur des batteries vieillies et un véhicule d’essais approprié n’est en effet pas chose aisée. Construits par le pionnier des camions électriques, la société E-Force One AG, ces véhicules datent de 2014 et ont respectivement 335’000 et 288’000 kilomètres au compteur. Pour un camion, ces chiffres sont relativement faibles, car les véhicules à moteur thermique destinés au transport local et régional sont en mesure de parcourir jusqu’à 500’000 kilomètres et de cumuler 8’000 heures de service.
Sur le plan technologique, c’est toutefois parmi les véhicules utilitaires lourds à moteur électrique que le développement de l’entrainement 100 % électrique par batterie est aujourd’hui le plus avancé. On estime que, même sans exonération fiscale, un véhicule utilitaire lourd doté d’une batterie offrant une autonomie de 400 kilomètres présentera un avantage potentiel en termes de couts dès 2025.
C’est pourquoi il est prévu de procéder au retraitement des batteries, puis d’étudier leur comportement de vieillissement à la fin de leur « première vie », et de comparer les résultats obtenus avec les modèles du Centre BFH Stockage d’énergie élaborés par apprentissage automatique. Ces travaux, qui s’inscrivent dans l’esprit d’une économie circulaire – optimisation de l’utilisation des ressources et de la consommation d’énergie par ralentissement, réduction et fermeture de cycles d’énergie et de matériaux –, doivent favoriser la réutilisation de précieuses ressources.
Retraitement des batteries des camions
La première étape a consisté à démonter les deux batteries de camion pour en analyser chaque cellule. Elle a permis d’étudier la répartition du vieillissement au sein des batteries, c’est-à-dire de déterminer si certaines cellules avaient vieilli plus rapidement que d’autres. Une première analyse a effectivement mis en lumière un vieillissement différencié des cellules au cours de la période d’utilisation de la batterie. Leur vitesse de décharge a, par conséquent elle aussi affiché de fortes variations. C’est pourquoi la charge individuelle de chacune des cellules a été portée au même état, avant que la capacité résiduelle de la batterie ne soit déterminée au moyen d’une décharge sur une période de 10 heures (voir illustration 1).

La taille et du poids des batteries a rendu leur manipulation particulièrement difficile. En raison de leur tension élevée – plus de 400 volts –, il a par ailleurs fallu respecter des consignes de sécurité appropriées telles que le port de gants ou d’une visière. Les cellules considérablement détériorées ont été remplacées par des cellules provenant d’une batterie de réserve mise gratuitement à disposition par E-Force One AG. La BFH dispose donc désormais d’un camion électrique d’une capacité de charge moyenne équivalent à 85 % de sa capacité initiale et d’un deuxième camion électrique d’une capacité d’un peu plus de 60 %, ce qui ne le destine vraisemblablement qu’à une utilisation sur de courtes distances.
Modèles de durée de vie précis
Le Centre BFH Stockage d’énergie a développé un modèle de vieillissement par apprentissage automatique à l’aide d’une grande quantité de données provenant de l’étude de plus de 10’000 batteries de vélos électriques. Si ce modèle permet d’estimer l’influence de différents paramètres tels que la température, le niveau de décharge maximal et la valeur du courant de décharge sur le vieillissement, il permet également d’optimiser les stratégies d’exploitation des batteries afin d’en prolonger la durée de vie. Une stratégie de fonctionnement alternative pour une batterie de vélo électrique a ainsi pu être développée en modifiant les paramètres de charge initiaux, sans que l’autonomie s’en trouve affectée.
Après avoir entrainé le modèle avec un jeu de données reposant sur des données originales, la durée de vie a été estimée à la fois pour les paramètres de charge originaux et pour les paramètres de charge modifiés (voir illustration 2).

En fin de parcours de la batterie, lorsque celle-ci affiche un état de santé d’environ 80 %, une différence de SoH (state of health) de plus de 5 % peut être observée, ce qui se traduit par une augmentation de la durée de vie de la batterie.
État de santé (SoH)
Le vieillissement des batteries au lithium-ion affecte leurs performances. Leur capacité utile et leur état de santé (state of health ou SoH) diminuent avec le temps. Le SoH indique le rapport entre la capacité utile maximale et la capacité nominale d’une batterie. En d’autres termes, la capacité résiduelle d’une batterie de 100 ampèreheures dont le SoH est de 80 % sera de 80 ampèreheures.
La détermination de l’état de santé est essentielle pour prédire la fin de vie de la batterie. Selon l’usage effectué, celui-ci se situe à une valeur SoH de 70 % à 80 %. Pour les batteries, cette fin de première vie marque souvent le début d’une deuxième vie, qui se caractérise par des affectations différentes. Les batteries ne pouvant plus être utilisées pour les voitures électriques peuvent, par exemple, servir de réservoir stationnaire d’énergie pour les installations photovoltaïques.
Durée de vie optimisée
Pour chacune de ces batteries, E-Force One AG dispose des données d’utilisation couvrant plusieurs années. Il s’agit désormais d’adapter le modèle du Centre BFH Stockage d’énergie de manière à pouvoir estimer avec précision le comportement de vieillissement des batteries de camions électriques. À cet égard, une attention particulière sera accordée au comportement lors d’une valeur SoH inférieure à 80 %, afin de prolonger la durée de vie technique des batteries et de pouvoir apprécier leur utilisation potentielle dans une deuxième vie. Il sera ainsi possible d’optimiser la stratégie de fonctionnement dans le cadre d’une seconde application ou la durée de vie dans le cadre de la première application, ce qui contribue de façon significative à prévenir le gaspillage de ressources et d’énergie.
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