Des véhicules électriques faits de composants usagés

Un bon exemple d’économie circulaire : une équipe de la Haute école spécialisée bernoise BFH a étudié comment transformer des véhicules à essence hors d’usage en voitures électriques à l’aide de composants usagés. Cette idée peut-elle s’imposer sur le marché ?

Prenons une vieille Audi A2 avec motorisation à essence, ajoutons-y le moteur électrique d’une Nissan Leaf d’occasion et plus de cent cellules de batterie usagées de voitures électriques Mitsubishi : il ne reste plus qu’à combiner le tout. Plus que le produit d’un passe-temps ludique, le résultat obtenu est à la fois un exemple probant d’économie circulaire… et un véhicule électrique tout à fait utilisable.

Ce projet met l’accent sur la pratique dite du « rééquipement », en complément au recyclage des matières premières. Le rééquipement (aussi appelé « rétrofit ») a pour but de donner une deuxième vie à des composants existants. La prolongation du cycle de vie des biens industriels a des conséquences positives sur leur écobilan : mesurées par rapport à la durée d’utilisation, les émissions de CO2 et la consommation d’énergie diminuent.

Neuf étudiants se sont lancés dans cette aventure audacieuse au printemps dernier, dans le cadre d’un travail de bachelor collectif. Ils sont issus de diverses divisions de la BFH : quatre d’entre eux étudient le génie électrique et la technologie de l’information, deux autres l’ingénierie automobile et du véhicule, et deux autres encore la mécanique. Le dernier étudiant, qui se prépare à devenir ingénieur de gestion, s’est penché sur les chances qu’a la voiture électrique rééquipée de s’imposer sur le marché.

Comment les véhicules « rétrofit » peuvent-ils servir la mobilité électrique future ? Les étudiants se sont penchés sur cette question sous la direction de cinq enseignants, dont Martin Kucera, professeur de génie électrique et de technologie de l’information. Leurs tâches comprenaient notamment l’acquisition de composants et la programmation de l’unité de contrôle et du matériel.

Des cellules de batterie testées en laboratoire

Trois des étudiants en génie électrique font part de leurs expériences : Luca Horn, Theo Meer et Lars Meier. Leur équipe s’est occupée des batteries et de la commande du moteur, pendant que leurs collègues des autres divisions ont mis en place le moteur et l’ont rattaché au châssis. Les électrotechniciens se sont encore occupés du système de gestion de la batterie, qui assure l’approvisionnement du véhicule en énergie et surveille continuellement la tension et le chargement des diverses cellules (mesurant chacune 15×12×4,5 cm pour 1,4 kg). Ce système de gestion va d’ailleurs encore être utile pour d’autres recherches menées au département BFH-TI.

« Nous avons obtenu nos cellules de batterie auprès d’une société suisse de recyclage. Nous les avons donc sauvées de la destruction », explique Theo Meer. « Il n’existe pas de marché de l’occasion dans ce domaine, en tout cas pas en Suisse. » Parmi les 105 cellules issues de deux lots, 96 se sont avérées utilisables : elles ont été montées dans le coffre de l’Audi A2. Pour cela, on avait auparavant fait construire au laser un boitier sur mesure chez un ajusteur.

Pour trier les cellules, l’équipe a dû procéder à des analyses approfondies en laboratoire. « Lorsqu’on change les batteries d’une voiture électrique de marque, elles sont encore en bon état. Leur capacité de charge est encore de 80 % plutôt que de 100 % », précise Luca Horn. « Mais comme l’autonomie constitue un enjeu crucial en mobilité électrique, les batteries finissent rapidement leur course dans une entreprise de valorisation. »

Dans ce contexte, le rétrofit offre une véritable chance d’améliorer nettement le bilan écologique des cellules lithium-ion, avant de devoir finalement les recycler. Les étudiants sont d’accord sur ce point. Ils estiment toutefois que si les batteries usagées de véhicules électriques ont des chances sur le marché, c’est surtout comme solutions de stockage de l’énergie photovoltaïque. « Les anciennes batteries de voiture peuvent très bien être utilisées dans la cave d’une maison pour emmagasiner de l’énergie solaire, de manière à pouvoir l’utiliser la nuit », explique Luca Horn. Les connaissances en la matière font partie des compétences que lui et ses collègues pourront utiliser au cours de leur carrière professionnelle.

En ce qui concerne le rééquipement de voitures à moteur à combustion en véhicules électriques, les futurs ingénieurs en électricité sont sceptiques : « Même si l’on rééquipe un grand nombre d’automobiles du même type, cela coute probablement trop cher pour être rentable », estime Lars Meier, qui ne décèle un potentiel éventuel que pour les anciennes voitures de collection de la classe de prix supérieure : dans ce domaine, pour des questions d’image, installer des moteurs électriques usagés pourrait constituer un marché de niche.

Autre problème relevé par Theo Meer : l’industrie automobile fait la sourde oreille lorsqu’on lui parle de rééquiper des flottes de véhicules diesel ou à essence : les demandes d’informations concernant des composants de certaines marques n’ont reçu aucune réponse de la part des producteurs.

Un montage en vitrine

Après de longs préparatifs destinés à obtenir les composants nécessaires en début d’année, le travail de bachelor a débuté en avril, en laboratoire à Bienne pour les tests de batteries, mais aussi directement sur le véhicule installé sur le campus de Berthoud. L’Audi A2 évidée n’était pas garée sur une place de stationnement, mais exposée dans le hall d’entrée de la haute école spécialisée : « C’était le seul endroit où la voiture pouvait rester plusieurs semaines à l’abri du mauvais temps », se souvient Theo Meer.

Les travaux ont rapidement attiré du public, même si cette mise en vitrine n’était pas prévue. « Par moments, toutes les cinq minutes, nous devions expliquer à quelqu’un ce que nous faisions », ajoute-t-il. « Nous aurions presque eu besoin d’un gestionnaire en marketing. »

Pour ce qui est de la coopération entre les quatre divisions de la BFH, elle s’est avérée à la fois intéressante et exigeante. Il a fallu beaucoup se concerter par l’intermédiaire de Sharepoint et de Whatsapp, parce qu’il était rare que tout le monde soit sur place en même temps. En tous les cas, on n’en est jamais arrivé au point de s’arracher le travail des mains. « Il est plus correct de dire que nous nous sommes refilé du travail d’un groupe à l’autre », s’amuse Luca Horn. « Le temps disponible était compté, mais à la fin juin, le grand jour est arrivé et nous avons pu effectuer notre première sortie d’essai avec une plaque d’immatriculation de garage. C’était la matinée qui a précédé l’orage de grêle, mais nous sommes restés bien secs. »

De toute façon, on voit à la carrosserie de l’Audi A2 qu’elle a déjà bien vécu : « Elle a quelques marques, mais c’est là le charme du rétrofit : équiper une vieille voiture d’un moteur électrique si possible encore plus ancien – parce qu’il ne demande presque pas d’entretien – et y mettre les cellules de batteries d’un véhicule électrique récent. »

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Prof. Martin Kucera
Responsable de la filière Génie électrique et technologie de l’information, BFH