La sécurité psychologique consiste essentiellement à ressentir au fond de soi que l’on ne sera pas puni-e ou humilié-e si l’on pose ses questions, exprime ses commentaires, expose ses préoccupations ou ses erreurs. (Photo : unsplash)

« Il ne s’agit pas de créer une ambiance bisounours »

Ina Goller est professeure de gestion de l’innovation à la BFH. Avec ses collègues, elle a mis au point un programme de formation pour améliorer la sécurité psychologique au sein des équipes. En quoi cela consiste ? Oser exprimer ses doutes sans se sentir dévalorisé-e.

Madame Goller, quelles qualités appréciez-vous particulièrement chez les personnes de votre entourage ?

J’aime quand les gens s’adressent aux autres sans réserve. Certain-e-s refusent le small talk. Je le trouve pour ma part très précieux pour briser la glace. En outre, je considère comme une qualité la capacité de discuter objectivement sans mépris. Pour autant que les personnes se montrent prêtes à exposer leur point de vue et à écouter les autres pour trouver une solution commune.

Comment se passe la communication au sein de votre équipe ?

Notre communication est fortement influencée par mes recherches sur la sécurité psychologique dans les équipes. Nous adoptons les règles suivantes : tout le monde doit participer activement à une réunion d’équipe. Si les collaborateurs et collaboratrices pensent n’avoir rien à dire, nous les encourageons malgré tout à exprimer leur avis. Même si leur propos ne dure que 30 secondes – cela débouche souvent sur de nouvelles perspectives précieuses. En équipe, il est également important d’apprendre les un-e-s des autres. Pour cela, nous devons tous et toutes pouvoir évoquer nos faiblesses et nos erreurs.

Vous enseignez la gestion de l’innovation : quel lien faites-vous entre la sécurité psychologique et l’innovation ?

La sécurité psychologique consiste essentiellement à être intimement convaincu-e que l’on ne sera pas puni-e ou humilié-e si l’on pose ses questions, exprime ses commentaires, expose ses préoccupations ou ses erreurs. Lorsque des personnes veulent créer quelque chose de nouveau en commun, elles doivent pouvoir exprimer leur idée, même si elle peut paraitre ridicule. Elles doivent pouvoir dire : « Je ne comprends pas, explique-moi encore une fois » – sans se sentir dévalorisées. La capacité d’innovation n’est pas la seule à bénéficier de cette atmosphère, la productivité augmente également dans de telles équipes. C’est ce que nous avons étudié dans le cadre d’un projet Innosuisse.

En quoi ce projet consistait-il ?

En collaboration avec la ZHAW et des partenaires de l’économie, nous avons développé un programme de formation visant à augmenter la sécurité psychologique dans les équipes. Plus de 50 équipes provenant de sept entreprises différentes ont testé le programme dans la pratique pendant 24 semaines. Elles ont reçu de brefs exercices à réaliser de manière autonome afin de s’entrainer à des comportements qui contribuent à la sécurité psychologique. L’évaluation des données n’est pas encore terminée, je ne peux donc pas fournir de détails. Mais nous pouvons d’ores et déjà constater que la sécurité psychologique est le médiateur de l’innovation et de la productivité.

Pouvez-vous nous citer quelques exercices ?

Un exercice qui permet de prêter attention aux formules de langage, par exemple, s’intitule « oui et… ». Il s’agit de remplacer « oui, mais… » par « oui et… » dans les conversations. Entendre « mais » chez l’autre suscite une résistance. Cela compromet toute possibilité d’entente. Nos cheveux se dressent alors sur la tête et nous entrons en résistance, voire en opposition. Il est possible d’entrainer de tels modèles de communication en faisant dire aux membres de l’équipe : oui, je suis d’accord et j’aimerais ajouter cela et formuler un souhait particulier à ce sujet. Le mot « et » ne change rien à mon propos, mais il infléchit le cours de la conversation. Les membres de l’équipe qui pratiquent cet exercice remarquent que la discussion se déroule de manière plus fluide. Un autre exercice concerne les témoignages d’estime.

Cela s’annonce prometteur.

Je le recommande à toute équipe. Il s’agit de dire à chaque personne de l’équipe ce que j’apprécie chez elle. Cela produit une sensation aussi douce qu’une douche chaude. La sécurité psychologique n’a toutefois rien à voir avec une ambiance bisounours, en revanche nous cherchons à stimuler le plaisir de la discussion entre collègues. Cela ne signifie pas que tout le monde doive toujours se montrer en accord. Au contraire. Cependant pour beaucoup, exprimer ses inquiétudes et aborder les risques requiert du courage.

Des exemples pour illustrer votre propos ?

La sécurité psychologique fait l’objet de nombreuses recherches dans les hôpitaux. Dans une salle d’opération, il règne un climat de travail très hiérarchisé, forcément peu favorable à la sécurité psychologique. Dans ce type d’environnement, les collaborateurs et collaboratrices évoquent moins facilement les risques. On connait des exemples d’opérations au cours desquelles des personnes ont subi l’ablation d’un orteil gauche au lieu des amygdales.

Comment expliquer une erreur aussi grossière ?

L’un-e des membres de l’équipe a beau remarquer que quelque chose cloche, le respect éprouvé envers le médecin-chef ou la médecin-cheffe est tel qu’il l’empêchera de s’exprimer. Peut-être par peur de perdre son emploi ou de se rendre ridicule. Entretemps, de nombreux hôpitaux ont instauré des formations dans lesquelles les collaborateurs et collaboratrices s’exercent à la sécurité psychologique lors d’opérations simulées. Il en va de même dans l’aviation. Lufthansa et Swiss proposent des formations pour améliorer la conversation entre pilote et copilote.

Quelles sont vos attentes ?

Nous savons que la sécurité psychologique constitue un concept positif pour les équipes. J’aimerais oser l’expérimenter davantage. Tout le monde peut découvrir la sécurité psychologique, il n’y a pas d’âge pour cela. Pour adapter les modèles de comportement, il suffit de prendre du temps et de s’exercer régulièrement.

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Dr Ina Goller
Professeure de gestion de l’innovation, responsable de la filière EMBA Innovation & Business Creation, BFH