
Mobilité et urbanité
Il vaut souvent la peine de se pencher sur l’étymologie des mots que l’on utilise. L’adjectif latin mobilis signifie «mobile», bien sûr, mais aussi «instable», «souple», «maniable». Le terme mobilitas désigne donc la mobilité, la rapidité, mais également la versatilité. Quant à urbanus, il veut dire à la fois «urbain» – évidemment – et «subtil», «instruit», «plein d’esprit», «effronté», «insolent». L’urbanité mobile se situe ainsi quelque part entre le style de vie versatile et la mobilité subtile…
La mobilité est subtile lorsqu’elle est intelligente. De nos jours, cela implique qu’elle soit économe, exige le moins d’énergie et de place possible, et n’émette pas de polluants, ou presque. Comme le font les piétons, par exemple. Car même si l’homme nait incapable de se déplacer, il est fait pour marcher. C’est pour cela que le piéton est véritablement «automobile». Son pas est ferme, mais son empreinte minime. Malgré cela, il semble négligeable dans le débat sur la mobilité. On ne le remarque que lorsqu’il a besoin d’un passage souterrain ou d’un passage piéton. Quel pauvre type! Le cycliste a déjà plus de chance. Grandi par son engin mécanique, cet autre «automobile» accroit son rayon d’action. C’est un sportif.
Puis arrive le grand pas en avant, si l’on peut dire: depuis que l’homme a appris à piloter des machines, il ne se meut plus par lui-même, il se laisse déplacer. Le bateau à vapeur, la locomotive et l’automobile ont été inventés il y a près de deux siècles, et nombre de personnes confient désormais leurs mouvements aux bons soins du charbon, du pétrole ou de l’électricité. Ce sont notamment les «usagers» des transports publics. La pompe à pendulaires les aspire le matin et les régurgite le soir: métro, boulot, dodo.
Viennent ensuite les automobilistes, mus par leur véhicule, qui se croient autonomes et prétendent maitriser le temps et l’espace. Ils finissent dans les embouteillages, ameutement d’innocents modernes. Ce n’est qu’avec les bouchons qu’est née la mobilité: auparavant, on parlait de transports. Malgré cela, seul l’automobiliste est un homme entier.
Ne reste plus qu’à mentionner le voleur – qui vole dans un avion plutôt que dans un magasin. On le parque dans un enclos, on le met à moitié nu, on le faire entrer dans un long tube oppressant… et pourtant il adore «voler». Parce qu’en quelques heures, il peut être n’importe où. C’est lui, le phénotype de notre époque: le touriste.
Mais assez parlé de mobilité subtile! Place au style de vie versatile… qui refuse de faire ce qui serait raisonnable. Pourquoi? Parce qu’il est esclave du confort. Où que nous allions, nous choisissons de nous en remettre à la machine, car nous trouvons trop pénible de faire un effort. Il est si «pratique» de se laisser mouvoir. En voiture jusqu’au kiosque, en avion dans les Caraïbes. «Pratique», en l’occurrence, veut également dire «bon marché»: je n’ai jamais besoin de me demander si j’en ai les moyens. Je peux me montrer parfaitement versatile dans le choix de ma destination, le but du voyage n’importe guère. «Pratique» signifie aussi «rapide». Car si j’ai toujours assez d’argent pour ma mobilité, je n’ai jamais assez de temps pour le voyage. Le confort est impatient: la mobilité douce ne m’est jamais assez mobile.
Auteur
Né en 1945, Benedikt Loderer a appris le métier de dessinateur en bâtiment puis étudié l’architecture à l’EPFZ. Il a travaillé comme assistant universitaire, architecte, critique dans le domaine de l’architecture et rédacteur de pièces pour la radio et la télévision. Il a fondé la revue Hochparterre, en est devenu rédacteur en chef, a pris sa retraite et passe dorénavant son temps à écrire et à arpenter la ville.