
«Parfois, il suffit de transformer les espaces de bureaux»
Les exigences en matière de places de travail et d’immeubles de bureaux ont fortement évolué au cours des vingt dernières années: le nouveau monde professionnel privilégie de plus en plus les horaires flexibles et les activités indépendantes de tout lieu. Trois spécialistes discutent des nouvelles formes de travail, de la durabilité et de leurs conséquences sur la gestion immobilière.
Boris Szélpal: Au cours des derniers mois, le domicile privé a fait ses preuves comme nouveau lieu de travail. Comment évaluez-vous cette évolution?
Andreas Meister: De manière générale, le télétravail actuel ne constitue pas un phénomène très significatif, parce que tout ce qui est arrivé dans ce domaine avait déjà été prévu longtemps avant la pandémie de coronavirus. Le passage de l’univers professionnel traditionnel au télétravail s’est toutefois fait assez rapidement. Cette évolution, qui est avant tout culturelle, aurait nécessité plusieurs années dans un contexte normal, mais la situation exceptionnelle a induit ce changement en quelques semaines seulement. On a alors constaté que les conditions techniques permettant d’exercer son emploi à domicile étaient déjà remplies depuis longtemps.
B. Szélpal: Monsieur Wicki, au cours des dernières années, vous avez contribué à ce que près de 10 000 postes de travail des CFF soient transformés en nouveaux espaces professionnels. Le personnel a-t-il aussi parfois exprimé certains doutes?
Peter Wicki: Nous avons effectivement créé de nombreuses nouvelles places de travail novatrices. Par le passé, on travaillait dans des bureaux accueillant une, deux ou tout au plus quatre personnes. Le passage à de grands espaces ouverts sans portes et même sans meubles de bureau personnels a effectivement constitué un grand changement pour bien des gens, mais nous avons essayé d’y préparer le personnel. Nous avons même institué des «change teams» qui ont accompagné les employés dans cette voie. Ce projet a montré que la modification du poste de travail induisait aussi un développement de la culture d’une entreprise.
A. Meister: Par le passé, les petits bureaux stériles et les grandes salles de conférence constituaient la norme des locaux administratifs classiques. Des études scientifiques ont cependant démontré que le bureau à deux personnes était en réalité le type le plus inefficace qui soit. C’est la place de travail qui présente le plus grand nombre de facteurs de dérangement. Il est donc important, lorsqu’on aménage la place de travail, que l’on procède comme pour l’habitat : chaque pièce et chaque surface devraient avoir une fonction spécifique. Il faut des lieux d’échange pour le travail collaboratif et des endroits silencieux dans lesquels on peut se concentrer dans le calme.
B. Szélpal: Quel rôle joue la place de travail lors du recrutement du personnel?
P. Wicki: Je crois que les exigences en la matière se sont accrues. Un poste de travail traditionnel peut effectivement rendre une entreprise peu attrayante. Les surfaces de bureaux modernes favorisent les échanges: pour de nombreuses personnes, cela constitue un critère important au moment d’évaluer si une société propose une culture d’ouverture.
A. Meister: L’aménagement des bureaux influence très fortement la culture et l’esprit professionnels. Depuis deux ans, nous faisons partie de la famille Vebego, qui compte parmi les principaux prestataires du domaine de la gestion d’immeubles et du facility management. Pendant plus de vingt ans, notre entreprise a eu ses quartiers dans un complexe de bureaux typique des années 1980 à Dietikon. Nous avons ensuite été les premiers à emménager dans le bâtiment novateur YOND à Zurich-Albisrieden. J’ai pu accompagner cette transition et participer à l’aménagement de notre siège principal comptant une centaine de postes de travail. Ce que ce nouvel environnement professionnel a engendré était à peine croyable. Très rapidement, il a été difficile de reconnaitre les employées et employés. Cet espace a aussi fortement contribué à la suppression de la hiérarchie. Si une entreprise veut évoluer, il suffit parfois d’en modifier les locaux, le changement intervient ensuite automatiquement.
B. Szélpal: Comment les besoins de la société actuelle ont-ils influencé la gestion des surfaces dans le domaine des espaces de travail?
P. Wicki: Actuellement, la demande de surfaces est faible. La pandémie a rendu les entreprises plus prudentes et le télétravail a pris le relais au moins en partie. Je m’attends à ce qu’à l’avenir il soit normal dans de nombreuses entreprises de travailler à domicile un à deux jours par semaine. Même en estimant les choses avec prudence, cela induirait une économie d’environ 20 à 40% des surfaces de bureaux requises. Personnellement, je crois que les besoins en surfaces vont effectivement diminuer. Je suis cependant convaincu que la demande se maintiendra pour les situations centrales bien desservies. Lorsqu’une entreprise se donne les moyens de disposer d’un immeuble de bureaux, celui-ci doit être bien desservi et représenter la société de manière optimale. Le recul des surfaces concernera surtout les périphéries urbaines.
B. Szélpal: L’innovation implique la durabilité. À quoi ressemble le chemin menant à un univers professionnel plus durable?
A. Meister: Les espaces de bureaux démodés sont remplacés par de nouveaux paysages professionnels. Mais qu’advient-il des anciens meubles encore fonctionnels? Nos usines d’incinération des ordures connaissent la réponse… Toutefois, dans l’ameublement de bureaux, l’économie circulaire ne cesse de gagner en importance. C’est une bonne chose, car elle ne nous limite pas et ne nous porte pas préjudice non plus. Il suffit de se demander si l’on peut réutiliser un objet et si oui comment. De nombreuses organisations sociales, par exemple, retapent ou transforment d’anciens meubles et fournissent ainsi des emplois à des personnes qui peinent à en trouver. Bien des choses vont changer à l’avenir dans ce domaine.
Avec la fondation Pusch et le fonds de soutien Engagement de Migros, nous participons à un projet baptisé «MAKE FURNITURE CIRCULAR». Son but est de faire appliquer le principe «utiliser plutôt que posséder» dans le cas du mobilier des environnements de travail.

B. Szélpal: Qu’implique la nouvelle gestion des surfaces pour les quartiers? Peut-on mettre en valeur les quartiers en diversifiant les utilisations?
P. Wicki: C’est un vaste thème. Les quartiers doivent toujours être multifonctionnels: on doit y travailler, y habiter, y faire ses achats, y jouer et y étudier. Les espaces de co-travail y sont aussi d’actualité. Ce sont des éléments importants qui permettent d’atteindre dans un faible rayon presque tout ce dont on a besoin pour vivre. C’est ce à quoi on souhaite parvenir à Paris avec le projet «Paris ville du quart d’heure».
Les participants à l’entretien
- Dr Andreas Meister enseigne dans le cadre du CAS Gestion immobilière de la BFH et y est responsable du module «Facility Management». Il dirige aussi les projets stratégiques de Vebego Schweiz Holding AG et préside le conseil d’administration de Move Consultants AG.
- Peter Wicki est coresponsable du CAS Gestion immobilière de la BFH; il dirige le domaine Développement et projets de constructions de Zug Estates AG, dont il est membre de la direction.
- Dr Boris Szélpal est professeur d’architecture et responsable des études du MAS Real Estate Management à la BFH.