
«Personne n’est contre le développement durable, mais maintenant tout le monde devrait y contribuer!»
L’architecte Peter Schürch et l’expert en photovoltaïque Christof Bucher en sont convaincus: il faut davantage de toits et de façades qui produisent de l’électricité. Mais la durabilité réelle des bâtiments ne se réduit pas à quelques panneaux solaires.
Qu’entendez-vous par architecture durable?
Peter Schürch: La construction durable est d’abord au service de la vie et des êtres humains, avant d’être au service des investisseurs. Nous devons apprendre à penser globalement. Les questions en jeu sont d’ordre éthique: nous devons prendre conscience du fait que les ressources sont limitées et construire avec discernement. Une famille de quatre personnes a-t-elle vraiment besoin de 200 mètres carrés de surface habitable? Ne pouvons-nous pas construire plus simplement et revoir nos exigences de confort? Plutôt que de démolir le patrimoine bâti, ne faut-il pas œuvrer à l’améliorer ? Nous devons penser au-delà du cout d’investissement initial et intégrer l’ensemble du cycle de vie d’un bâtiment dans nos calculs de cout de revient, à savoir les couts d’exploitation, les besoins en énergie, le potentiel de transformation ou encore la réutilisabilité. Les avantages peuvent être aussi bien d’ordre économique que juridique. C’est ce que nous appelons la construction circulaire.
La construction et l’exploitation des bâtiments représentent la moitié de l’énergie consommée en Suisse. La solution à la crise énergétique et climatique se situerait-elle là?
Christof Bucher: Les bâtiments qui étaient jusqu’à maintenant des gouffres énergétiques sont en passe de devenir des centrales électriques. Aujourd’hui, ils peuvent produire plus d’énergie qu’ils n’en consomment. Le simple fait de couvrir l’ensemble du parc immobilier suisse de panneaux photovoltaïques permettrait de combler le déficit d’énergie à venir. Mais si l’on en juge par les cycles de rénovation des bâtiments actuels, il faudra 100 ans pour tirer profit de ce potentiel. Or, nous n’avons pas autant de temps à disposition.
Peter Schürch: Attention, le photovoltaïque ne règlera pas tous les problèmes. Nous devons surtout cesser de gaspiller l’énergie. Sur les bâtiments anciens, commençons par isoler l’enveloppe avant de condamner la chaudière à mazout pour la remplacer par une pompe à chaleur avec des panneaux solaires. Sans cela, nous ne ferons qu’aggraver le déficit d’électricité en hiver. À vrai dire, il ne faudrait plus construire que des maisons passives si nous voulons atteindre les objectifs climatiques. Et le raisonnement est le même pour le bâti existant.
Le besoin d’agir le plus important se trouve-t-il du côté des bâtiments neufs ou anciens?
Christof Bucher: Aujourd’hui, un bâtiment neuf de qualité affiche une efficacité énergétique dix fois supérieure à celle d’un bâtiment ancien et, tout au long de sa vie, il consomme moins d’énergie que ce qu’il en recèle sous forme d’énergie grise. C’est pourquoi le fait de continuer à améliorer la consommation à l’exploitation n’apporte pas autant que la rénovation énergétique des anciens bâtiments. Cela dit, nous devons naturellement exploiter tout le potentiel des bâtiments neufs. Un projet d’entrepôt, par exemple, doit impérativement intégrer des surfaces solaires.
Peter Schürch: On construit encore beaucoup trop à la hâte, grossièrement et en sacrifiant aux critères économiques. C’est pourquoi le potentiel est important y compris du côté du neuf. Stratégies énergétiques intelligentes, construction simplifiée, masse de stockage thermique optimisée, matériaux naturels et circularité: les leviers d’action sont nombreux. Les bâtiments plus anciens représentent notre culture architecturale, une culture que nous devons préserver. Nous ne pouvons pas faire disparaitre ces édifices derrière des couches de matériau isolant.
Mais êtes-vous d’accord pour dire que les façades modernes devraient non seulement réduire les déperditions de chaleur, mais aussi produire de l’électricité?
Peter Schürch: Les revêtements de toit doivent impérativement se présenter sous forme de modules photovoltaïques. L’intégration aux façades requiert une approche plus sensible de la mise en œuvre architecturale. On le voit à l’exemple du nouveau bâtiment de l’Office pour l’environnement et l’énergie de Bâle, dont la façade en panneaux photovoltaïques peine à s’intégrer au bâti environnant. Personnellement, la multiplication des façades en panneaux solaires me pose un problème. Nos villes, notre espace de vie, nous plairont-ils toujours autant si les façades en briques, en crépi ou en bois sont toutes remplacées par des panneaux photovoltaïques en verre?
Christof Bucher: Ce ne peut pas être le but recherché. Il existe pourtant de nombreux immeubles neufs dotés de façades lisses qui pourraient tout aussi bien intégrer des panneaux solaires en gardant le même aspect. Il faudrait commencer par les bâtiments industriels qui ont des façades sans fenêtre orientées au sud. Il n’est pas nécessaire d’imposer le photovoltaïque à marche forcée sur toutes les constructions existantes.
L’intégration du photovoltaïque sur une façade est-elle trop rarement réussie?
Christof Bucher: La plupart des architectes n’ont pas encore bien compris comment fonctionnait le photovoltaïque et ont des attentes irréalistes quant à son adaptabilité à leur projet architectural. Ils et elles doivent apprendre à utiliser ce nouveau matériau pour créer quelque chose de neuf. Aujourd’hui, le verre est d’un emploi flexible: on peut choisir sa forme, réduire fortement sa brillance, en adapter la teinte. Autant de possibilités dont il s’agit de tirer parti.
Peter Schürch: La jeune génération s’y frotte. On en a un bon exemple avec la maison de Poschiavo (voir photo), qui a reçu le Norman Foster Solar Award en 2022. Ce projet conçu par une jeune architecte montre qu’une conception bien pensée offre des solutions globales de qualité avec le photovoltaïque.

Foto: Nadia Vontobel Architekten GmbH
Comment se fait-il que les principes de la construction durable mettent autant de temps à s’imposer?
Peter Schürch: Personne ne se montre contre le développement durable, mais maintenant nous devrions tou-te-s faire quelque chose pour. Il existe une force d’inertie inhérente au système, que même les étudiant-e-s ressentent. On continue à récompenser des bâtiments en béton qui consomment beaucoup d’énergie grise et ne sont pas des exemples à suivre. Cela dit, c’est une époque captivante pour les étudiant-e-s, car il n’existe pas encore d’architecture pour une construction durable, circulaire et dotée d’une esthétique propre. Il nous reste à l’inventer.
Christof Bucher: Je trouve l’idée de la construction circulaire importante. La durabilité dépasse de loin les questions énergétiques. L’énergie, à vrai dire, est disponible en quantité suffisante, ce sont les ressources qui vont s’épuiser. Depuis que nous avons appris à les exploiter, il nous a suffi de quelques décennies pour conduire la planète dans le mur ou presque. Il est l’heure de changer notre consommation des ressources avant que la nature ne nous y contraigne.
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