Très solides, les lamellés-collés de tasseaux de hêtre offrent de nouvelles possibilités

Le bois est un matériau de construction intéressant sur le plan technique, qui améliore en outre le bilan environnemental et climatique des ouvrages. Alors que la tendance favorisant les structures en filigrane dans l’architecture exige une capacité portante accrue, les lamellés-collés de tasseaux de hêtre offrent des possibilités intéressantes. Leur production a été mise au point dans le cadre d’une collaboration entre les scientifiques de la BFH et la société Fagus Suisse SA.

Dr Martin Lehmann, responsable adjoint du domaine de compétences Technologie des adhésifs et chimie des polymères, BFH

En Europe centrale et notamment en Suisse, les feuillus dominent les régions extérieures aux Alpes et vont à nouveau en évincer l’épicéa (Picea abies). Cette évolution est favorisée par les efforts déployés pour abandonner les monocultures de conifères au profit de la forêt mixte naturelle. Le réchauffement climatique l’accélère également. Or le bois des essences feuillues et notamment du hêtre (Fagus sylvatica) est plus résistant que le bois d’épicéa généralement utilisé pour la construction bois. Malgré cet avantage, le lamellé-collé de lattes de feuillu n’est que rarement utilisé, en raison de son prix unitaire plus élevé. La plupart des gens ne connaissent ainsi le hêtre que sous la forme de bois de feu. C’est la raison pour laquelle Fagus Suisse SA, en collaboration avec des chercheurs de l’Institut des matériaux et de la technologie du bois IWH de la BFH, a développé un bois lamellé-collé de tasseaux de hêtre, constitué de grosses baguettes de bois de section carrée.

De nouveaux marchés pour le hêtre helvétique

Avec cette innovation, il est possible d’obtenir des structures porteuses d’une résistance à la flexion supérieure à 60 mégapascals (MPa). À titre de comparaison: pour le bois lamellé-collé d’épicéa disponible actuellement sur le marché, cette résistance est comprise entre 24 et 32 MPa, alors que les procédés appliqués jusqu’ici au lamellé-collé de feuillus permettent d’atteindre 48 MPa. Faire progresser la résistance à la flexion de 25 à 150% afin de parvenir à 60 MPa créerait de nouvelles possibilités sur le marché pour le bois des forêts suisses.

Une résistance accrue

Comme la longueur du matériau brut est limitée, les lattes des lamellés-collés doivent être réunies pour former des poutres. Mais contrairement à ce qui se fait pour les lamellés-collés de lattes à section rectangulaire, les tasseaux à section carrée utilisés pour ce nouveau type de produit très résistant sont ordonnés de manière contrôlée, en décalage l’un par rapport à l’autre. Cela permet de réduire autant que possible l’influence négative de l’interruption entre deux tasseaux. On garantit ainsi des résistances accrues. Le lamellé-collé classique à lattes de section rectangulaire présente déjà deux grands avantages: les propriétés de la poutre sont plus homogènes qu’avec du bois massif, alors que les grandeurs des diverses caractéristiques du bois sont limitées. Avec le lamellé-collé de tasseaux, cet effet est désormais utilisé dans deux directions. La double lamellisation réduit par ailleurs la section requise pour le matériau brut utilisé: l’efficacité de l’utilisation du bois brut s’accroit ainsi en même temps que la résistance obtenue.

Le joint de collage n’est pas un point faible

Le collage des tasseaux s’effectue à l’aide d’une presse à haute fréquence, qui fait passer le temps de pressage de plusieurs heures à quelques minutes. Jusqu’ici, ce procédé n’a pas été utilisé pour le collage de bois de hêtre destiné à des structures porteuses. Pour cette essence, le recours aux adhésifs et paramètres utilisés usuellement avec le bois d’épicéa n’a pas permis un collage répondant à la norme visée en matière de résistance et de durabilité. On évalue le plus souvent la qualité d’un collage porteur en fonction de sa résistance au délaminage. Lors du test, le bois est tout d’abord saturé en eau grâce à un procédé d’imprégnation, ce qui induit un net gonflement du matériau. En fonction de l’essence concernée, le bois absorbe alors une à trois fois son poids en liquide. La pièce évaluée est ensuite séchée dans un laps de temps réduit (environ 20 heures). Cette perte en eau fait rétrécir à nouveau les parties sèches du bois, ce qui engendre des forces de compression qui fissurent le matériau. Le test est réussi si ces fissures se forment dans le bois et non dans les joints collés, ce qui garantit que les collages sont plus solides que le bois lui-même. Lorsque tel est le cas, les joints ne constituent pas des points faibles de la structure porteuse. Le projet de recherche a permis d’évaluer divers adhésifs et de définir les paramètres d’un collage respectant les normes.

Un tri fiable pour une résistance élevée

Le bois est un produit naturel dont les propriétés varient fortement. Cela s’applique aussi à sa résistance et à sa rigidité. Pour cette dernière, qui correspond au module d’élasticité, on dispose de protocoles de mesure non destructifs qui ont fait leurs preuves. Quant à la résistance, elle est estimée à l’aide de divers paramètres mesurables ou visuels. Les corrélations connues entre la densité, le module d’élasticité et la résistance perdent leur validité lorsque la planche examinée présente des caractéristiques telles que des nœuds, des fissures ou une forte inclinaison des fibres. La détermination de l’influence des caractéristiques du bois sur sa résistance se fait en trois étapes: on saisit les caractéristiques visuelles du bois, on mesure la densité et le module d’élasticité, puis on établit la résistance à la traction à l’aide d’un procédé destructeur. À cet effet, on a testé plus de 250 tasseaux d’une section de 40 mm sur 40 mm et de différentes longueurs. La résistance moyenne de ces pièces est réjouissante, puisqu’elle atteint 64 MPa. Combinée à la valeur maximale de 125 MPa, elle indique que le hêtre présente un potentiel énorme comme bois de construction. Toutefois, la valeur minimale de 4 MPa montre combien il est important de trier le bois et de connaitre l’influence de ses caractéristiques sur sa résistance. Dans le cadre du projet, il a été possible d’établir les paramètres requis pour que les partenaires économiques puissent trier le matériau brut selon la classe de résistance en tenant compte de l’efficacité de l’utilisation du bois.

La recherche et l’économie unissent leurs forces

Parallèlement aux travaux de recherche menés à la BFH, Fagus Suisse SA a construit son usine de production aux Breuleux (JU). Avec la mise en service de celle-ci, c’est la dernière étape du projet qui a débuté. On transfert actuellement les découvertes de la recherche vers l’industrie afin de valider les résultats obtenus. Cela se fait par l’intermédiaire de tests de produits, mais aussi d’une coopération étroite entre les deux partenaires de projet, Fagus Suisse SA et l’Institut des matériaux et de la technologie du bois IWH. Des membres de l’équipe de recherche de la BFH ont ainsi formé les employés de l’entreprise sur le site de production. Avec leur savoir-faire, ils les ont aidés à adapter les paramètres de production aux réalités de l’industrie. Cette démarche a permis un transfert de connaissances intense et efficace vers le partenaire économique de la haute école.

Informations sur l’Institut des matériaux et de la technologie du bois IWH et sur Fagus Suisse SA